Ecrit pour Folktale Week #2
Cela fait dix ans que je vis à Ys, ville enchantée qu’un charme magique retient captive sous les eaux. Une fois par an, le premier jour de l’été, la ville émerge des eaux et ses habitants peuvent arpenter la terre ferme pour une seule journée. Aujourd’hui c’est mon anniversaire. Je fête mes dix ans et c’est la première fois que je ne vais pas pouvoir chevaucher sur la plage avec Morvarc’h. Dahut ne veut pas que je sorte. Une tempête s’annonce. Elle m’a dit de faire bien attention. Les vagues gigantesques et les vents violents semblent guidés par une conscience malfaisante. Elle ne se trompe jamais. C’est dangereux pour moi dehors.
Seule à la maison, je peins une scène de tempête. Sur ma toile le ciel est en colère, on distingue un visage menaçant entre les nuages. L’air est chargé d’électricité. J’essaie de rendre cet instant immobile, suspendu où le drame est encore à venir. Je donne à la mer des reflets d’émeraude et d’obsidienne. Les fonds marins sont brassés par la naissance de vagues scélérates. Le mouvement est difficile à rendre mais je connais les profondeurs autour d’Ys. J’y arrive plutôt bien. J’imagine les bancs de poissons déboussolés par les courants. Au premier plan, un cheval noir comme la nuit galope sur les flots, une petite fille aux yeux verts et aux longs cheveux noirs riant sur son dos. Au loin, les voiles blanches d’un navire. Maintenant, il faut laisser sécher.
Dahut vient de rentrer. J’écoute distraitement les voix qui résonnent dans le grand escalier. Elle est très en colère contre Lugh parce qu’il n’a pas encore trouvé le responsable de tout ce bazar. Elle semble inquiète et ressort de la maison en claquant la porte. Mieux vaut ne pas lui parler de mon cadeau pour l’instant. Ses colères sont légendaires, Ys ne s’est pas encore remise de la dernière. J’entends Lugh en bas. Elle l’a laissé pour me protéger.
Les heures passent si doucement. Je reste à la fenêtre de ma chambre à regarder la mer. Les déferlantes arrosent les murs de la maison et les embruns frappent à ma fenêtre. C’est comme de la musique. Chaque note est un secret fait pour me distraire. Au loin, la plage, inaccessible, m’appelle. J’en ai assez de rester coincée à l’intérieur. J’étouffe ! Je sors discrètement par la fenêtre. C’est si facile de berner les adultes. Le vent fouette mon visage et joue dans mes longs cheveux noirs. Je le reconnais, c’est le Surouas. Il a la saveur particulière du sel de mer séché au soleil.
Oh ! Une voile blanche se rapproche par l’Est. Le bateau tangue et semble en bien mauvaise posture. Qui sont ces idiots qui naviguent par un temps pareil ? Peut-être qu’ils m’apportent mon cadeau ? Dahut m’a promis une surprise. Peut-être quelque chose venu du monde d’en dehors ?
Je connais Ys par cœur. Quand on est enfermée dans ses brumes 364 jours par an, on a le temps d’apprendre à connaître ses habitants et la moindre de ses ruelles. Ses rivages sont impossibles à trouver. Les étrangers sont rares, les arrivées ne sont jamais volontaires. Ys est une ville de réfugiés. Vite Morvarc’h ! J’arrive au port le cœur battant, mon cheval en sueur. Les étrangers débarquent tout juste. Sur le ponton une femme s’avance. Elle a de l’allure et … quelque chose de particulier. Une sorte d’aura peut-être ? Non… Il y a quelque chose de familier chez elle, comme l’écho d’un souvenir. Je sais, elle semble plus vivante que les gens d’ici !
– « Bonjour belle Dame. Vous venez pour mon anniversaire ? »
– « Bonjour petite, eh bien, je ne crois pas. »
– « Oh. C’est la tempête alors… »
– « Oui. Dis moi, quelles sont ses eaux dans lesquelles nous avons trouvé refuge ? »
– « Dame, vous venez d’aborder Ys la cité de Dahut. Personne ici ne vous le dira mais vous devez partir avant ce soir minuit sous peine de rester pour un an en notre compagnie ». J’essaie de me souvenir de mes bonnes manières et ajoute une révérence maladroite avant de me sauver à toutes jambes.
Au bout du ponton Morvarc’h m’attend. Dahut sera furieuse si elle sait que je me suis approchée des étrangers. Heureusement, ce n’est pas lui qui lui dira. Lugh va se faire du souci aussi. Mais tant pis, la belle étrangère ne doit pas rester en Ys, une seule de nous prisonnière des brumes c’est bien suffisant… Finalement, je ne pense pas qu’ils aient mon cadeau d’anniversaire. Pourtant, en observant la belle étrangère, j’ai vu à son poignet un petit cheval en bois d’ébène qui pendait d’un bracelet et oscillait doucement à chacun de ses mouvements.
L’ouvrage était tel qu’il m’a rappelé ma dernière chevauchée sur la plage avec Morvarc’h : sans bride ni selle, le vent dans le dos et le soleil au dessus de nos têtes, Lugh nous poursuivant de ses imprécations… C’était tellement drôle.
C’était si facile de lui chiper ce petit bout de bois. Ce n’est pas grand chose pour un si beau souvenir. Et puis, je sais bien moi qu’elle n’en aura bientôt plus jamais besoin…
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